Dominique Dye. Comment êtes-vous venue à l’écriture ?

Narrer a toujours été une activité excitante pour moi. Enfant, j’inventais des histoires que je racontais à ma petite sœur, ravie. Maman, je créais des contes pour expliquer la vie ou pour rassurer. Puis j’ai commencé à écrire pour moi-même. Des récits, des poèmes. Cela n’était pas destiné à être lu, mais plutôt à décrire et exprimer mes propres tourments. Une sorte de catharsis. Tout comme la musique ou la peinture, j’ai longtemps utilisé la plume pour contenir et digérer émotions et événements. Puis l’écriture est devenue scientifique et professionnelle, dans le cadre de mon activité d’enseignante en psychologie. Une sorte de triptyque où les trois pôles, captiver, exprimer et transmettre étaient alors isolés. En toile de fond un vœu, que j’estimais parfois pieux, qu’un jour j’écrirais un roman. Ce genre de promesse que l’on se fait à soi-même, sans y croire vraiment. Puis ce jour est arrivé. Il s’est imposé comme une évidence. C’était le jour, le bon jour, « aujourd’hui j’écrivais un roman ». Je laissais mon inconscient parler, non seulement à moi-même mais aussi à d’autres. C’était un passage particulier, celui de laisser éclore une histoire sans savoir préalablement tout de ce que celle-ci transmettrait. Je me suis assise devant mon ordinateur et j’ai commencé. Je n’avais qu’une idée générale, écrire sur le traumatisme et les traces laissées en sourdine dans l’esprit. Un des personnages principaux, Blanche, est arrivé très vite. J’ai commencé à l’apprivoiser tout en ne sachant pas ni ce qu’elle était, ni ce qu’elle venait faire dans le projet. J’ai probablement dû lâcher prise et accepter de laisser émerger de mon esprit « une chose » que je ne comprenais à priori, pas. Et la magie de l’écriture a surgi. Il n’y avait plus uniquement moi, mon écran et mes idées. Il n’y avait pas simplement un désir de raconter en transposant des connaissances ou des pensées au travers d’une fable. Il y avait le personnage, puis rapidement les personnages, qui se saisissaient eux-mêmes de l’histoire, la faisaient vivre et l’orientaient. Les débuts de mon écriture romanesque étaient plus compulsifs qu’aujourd’hui. Je changeais de place. Ce n’était plus uniquement moi qui utilisais consciemment les personnages, comme un vecteur de transmission. C’était moi, qui devenait également ce vecteur pour eux. Comme le dit un autre des personnages de mon premier roman, la Feuille déchirée, je ne savais plus si c’était moi qui me servais de mes personnages pour rendre compte de mon esprit, ou les personnages qui se saisissaient de mon esprit pour le rendre public. Alors je me suis laissée allée à l’écriture comme on accepte d’être emporté par une vague sans en connaitre la destination. Puis j’ai trouvé un équilibre entre ma volonté, mes idées, la pression exercée par mon inconscient et ma créativité. Cette collaboration subtile a définitivement instauré l’écriture dans ma vie, comme une activité excitante et indispensable.

Comment résumeriez-vous votre dernier ouvrage ?

C’est un roman qui surprend et qui ne laisse pas indifférent. Une dimension profondément psychologique, mais aussi des teintes de roman policier et de thriller. Une enquête qui est proposée au lecteur, mais qui est autre que l’enquête racontée. Des indices qui rythment un jeu de piste où on va se diriger dans les méandres de l’esprit et de l’inconscient. Il faut s’acclimater au début avec la forme. Reconnaitre les narrateurs. Se laisser descendre petit à petit, dans les profondeurs des personnages. Accepter parfois d’être perdu et de ne pas tout maitriser. Ne pas être effrayé par les fiches de cours de psychologie. Il faut se laisser vivre l’expérience proposée pour finalement, en découvrir le sens et les subtilités. En d’autres mots, une expérience à caractère phénoménologique.

Comment naissent vos histoires ? Quelles sont vos sources d’inspiration ?

Mes histoires naissent de sources plutôt variées. Une idée générale toujours, venue d’un fait divers qui a attiré mon attention, d’une expérience vécue ou d’un débat sociologique, ou encore le désir d’approfondir un thème, comme celui de l’inconscient pour mon premier roman. Mais chaque fois, il y a plutôt une question qui s’impose à moi plutôt qu’une réponse. Par exemple dans mon second roman en phase de finalisation, j’ai eu envie de poser la question de la relation entre le masculin et le féminin. C’est à partir de ma propre curiosité que nait l’histoire que je vais inventer.

Comment bâtissez-vous vos récits ? Avez-vous une méthode ?

Après avoir décidé du thème, je cherche la forme narrative qui sera la plus propice à plonger le lecteur dans cette fameuse question décrite plus haut. Puis je me laisse aller et ensuite je reviens sur le texte, l’analyse et l’oriente.
Je ne connais pas toujours la chute. Elle s’impose à un moment, comme pour la Feuille déchirée. Parfois je la sais, mais je laisse toujours une possibilité à l’histoire d’en décider autrement.
Je tiens également compte de l’équilibre émotionnel et de la tension narrative qui sont deux éléments que je juge essentiels dans mon écriture. Ainsi que le niveau symbolique qui a également beaucoup de place.

Avez-vous des habitudes d’écriture ? Travaillez-vous sur ordinateur ou sur papier ?

J’écris sur mon ordinateur, dans le silence et la solitude, la plupart du temps. Je récolte aussi très rapidement des idées que je note pour ne pas les oublier, tout au long de la journée, et parfois même au saut du lit, quand l’histoire ou les personnages me rendent visite. Il ne s’agit pas de rêves, mais plutôt d’un état de conscience modifié pendant la phase d’endormissement ou de réveil, proche de l’absurde souvent mais paradoxalement si sensé.

Que représente pour vous l’écriture ? Une sorte de prédisposition ? Une nécessité ?

Il est difficile de répondre complètement à cette question. Il me semble que je pourrais y répondre quand je serais à la fin de ma vie d’écrivaine, en appréciant mon écriture sur une longueur de temps significative. Pour l’instant je pourrais dire qu’il y a de la nécessité certes, mais aussi de la prédisposition, tellement cet acte d’écrire est excitant et vitalisant. Les mots de l’écriture sont encore plus chargés de signification que le verbe. Parce qu’ils sont majoritairement eux-mêmes des symboles, c’est-à-dire des mots choisis ou imposés par l’inconscient, pour représenter au moins une chose, mais bien souvent plusieurs ou sur différents niveaux. Il y a là une double symbolisation. Je choisis mes mots-images pour représenter les dimensions complexes d’un même objet. Mon inconscient de son côté fait la même chose pour me montrer ce qui m’a échappé dans mon propre récit et surtout sa signification.

Quels sont vos autres activités en-dehors de l’écriture ?

Je continue avec passion à pratiquer et à enseigner la psychothérapie. La construction de mes personnages ainsi que leurs réactions s’appuient fortement sur mon identité et sur mon expérience professionnelle.
Ma vie est également rythmée par mon goût pour les voyages et la découverte de cultures différentes.
Je lis aussi de tout ou presque. Pas assez à mon goût dans cette vie trépidante. J’ai dû hériter de ma grand-mère paternelle, cet éclectisme littéraire. Elle lisait aussi bien San Antonio que Saint thomas d’Aquin, et enfant cela me fascinait.
L’amour et les relations familiales ont aussi beaucoup d’importance dans ma vie.

Travaillez-vous déjà sur un autre projet ?

Je viens de terminer l’Agonie du scorpion, comme je vous le disais précédemment. Un livre sur les relations hommes-femmes et sur les transmissions transgénérationnelles des codes sociaux relatifs à ce thème, ainsi que des histoires de vie de génération en génération. Le thème de la soumission et de la domination y est abordé par l’intermédiaire de l’évolution de la prostitution et du rapport au corps.
J’ai commencé un troisième projet, Peine Ombre, qui parle d’amour, d’attachement et de mort. Ce nouveau roman met en scène la philosophie du catholicisme et les religions orientales ainsi que la différence du rapport à la mort. La question de la mémoire et de ses différents mécanismes de défense, qui vont du léger déni à l’amnésie dissociative où on peut même oublier sa propre identité, y sont également abordés.
Plusieurs autres sujets attendent que je les mette en mots.

Interview réalisée par Corine Mercier
Rédactrice